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N° 21 - OCTOBRE 2014 - FRELON ASIATIQUE: VOYAGE EN ORIENT
 
 
Il pleut sur nos montagnes des Cévennes comme rarement. La terre glisse. Les chasse-neige poussent la boue. Un dérèglement de plus au terme d'une saison marquée par une météo défavorable aux abeilles et nos projets d'apiculteurs. Maigres récoltes, pour la deuxième année consécutive, accompagnées de soins intensifs donnés aux abeilles pour tenter de palier au pire.

Et pour parachever la collection de tracas, en fin d'été, beaucoup qui nous écrivent subissent l'attaque de frelons asiatiques (en attendant Athemia thumida déjà présent sur le territoire français).

Nous voilà bien.

Pressentant cette accumulation d'obstacles imposés aux abeilles, de plus en plus nombreux, nous avons commencé il y a quelques années à engager les ressources techniques et scientifiques de notre association  dans la défense de nos abeilles contre le frelon asiatique. Le coup d'envoi fut une conférence donnée par Bernadette Darchen à Florac en avril 2010.

 
Conférence donnée par Bernadette Darchen à Florac en avril 2010
Conférence donnée par Bernadette Darchen à Florac en avril 2010
 

Puis une série d'expériences pour trouver des moyens de lutte propres contre le frelon asiatique, petites charges d'explosifs, gaz détonnant, etc. Autant de dispositifs que nous avons testés sans résultat satisfaisant. Mais nous ne pouvions pour autant assister passivement au massacre de nos colonies, totalement bloquées dans leur fonctionnement par le stress suscité par la présence des frelons.

En dernier recours, avant l'interdit officiel de cette pratique, nous avons testé l'impact d'appâts mouillés de quelques gouttes de fipronil, méthode utilisée en routine contre Vespa orientalis. Nous avions alors utilisé pour ce faire une préparation vendue en toute légalité à ce jour à des millions d'exemplaires par an dans notre pays afin de supprimer les tiques et les puces des chiens et des chats. Notre expérience nous a permis en l'espace de deux applications à 7 jours d'intervalle de réduire la pression des frelons asiatiques sur un rucher de 25 ruches à un taux supportable. C'est-à-dire à un taux n'inhibant pas de manière sensible l'activité des abeilles. Plus précisément, nous sommes passés, en moyenne, de 1 visite de frelon asiatique par ruche toutes les 2 minutes à 1 visite par ruche toutes les 55 minutes. Différence notable (cf. Gazette de l'Arbre aux Abeilles n°13).

 
Voyage en Orient

Cet été, confrontés à nouveau au phénomène, perplexes quant au bien-fondé de l'interdit officiel en France de cette pratique d'empoisonnement des frelons, des membres de notre association ont répondu à l'invitation d'une apicultrice israélienne, Sulamith F. Cette amie a amélioré la méthode que nous avions testée, réduisant encore la quantité de pesticide diffusée dans l'environnement.

En effet, Sulamith n'utilise pas d'appâts empoisonnés. Elle dispose quelques dés de viande fraiche devant une ruche, au centre du rucher, ou près d'une des ruches les plus visitées par les frelons, et elle attend.

Appâté, un frelon repère la viande tendre, il se pose dessus. Sulamith s'approche avec un pot de 500gr vide et le pose sur le frelon, le capture. Il grimpe dans le bocal.

Sulamith place sous le bocal un autre pot de 500gr contenant un petit morceau de viande mouillé de quelques gouttes de fipronil et un peu sang mélangé à quelques gouttes de la préparation insecticide dosée pour « chien moyen » (le dosage permettant de ne pas tuer le frelon trop vite...). Renversant les bocaux ouverture contre ouverture, le frelon passe du premier bocal dans l'autre qui contient la substance active. Sulamith ferme le couvercle, emprisonne le frelon. Elle secoue, afin qu'il entre en contact avec le bout de viande empoisonné et le mélange sang/solution de fipronil.

Le frelon ne doit pas être vraiment mouillé, insiste Sulamith, car après, il doit pouvoir voler. Elle ouvre le bocal et relâche le frelon. Généralement, il se toilette un peu et ne tarde pas à filer droit en direction de son nid, nous dit Sulamith. Là, il est probable qu'il est léché par ses congénères  attirés par l'odeur de sang et de viande. Il est probable qu'en circulant, il dépose quelques ppb du produit de-ci de-là, et que ça circule ainsi dans le nid, diffusant cette molécule dont pas mal d'apiculteurs connaissent la redoutable efficacité. Un ou deux jours après la «mise en bocal» d'une trentaine de frelons, le taux de fréquentation des frelons commence à baisser très sensiblement. Et si nécessaire, une semaine après, Sulamith recommence le protocole. L'idée étant simplement de réduire la pression parasitaire à un taux supportable et de freiner le développement de l'espèce.

Lorsque les frelons ne se posent pas assez vite sur les bouts de viande qui leur sont proposés, Sulamith prend une raquette découpée dans du polystyrène, «Les raquettes trop dures abîment trop le frelon, le polystyrène, c'est mou, ça ne le blesse pas au point de l'empêcher de retourner à son nid». Avec ça, elle expédie le frelon d'un coup habile au sol. Avec le premier bocal, elle capture l'animal et le transvase ensuite dans le deuxième bocal contenant le fipronil. Il s'envole...

L'intérêt de la méthode est de permettre une application très ciblée, qui diffuse dans l'environnement très probablement moins de ppb de cette molécule que ne le font les colliers pour chats et pour chiens. Les enfants par exemple ne caressent pas habituellement le cou des frelons. Et ceux-ci habituellement ne se baignent pas dans les rivières avec un collier, etc.

Si la méthode de Sulamith n'est pas idéale, en adéquation avec nos résolutions à éviter de polluer, elle nous incite à réfléchir, à aller en matière de pesticides au-delà d'une écologie de surface. Avant de condamner ou interdire une telle pratique, il serait intéressant de calculer réellement le dégât environnemental causé par cette méthode et de la comparer avec d'autres, de calculer aussi le dégât environnemental qu'infligent les frelons. Le bilan carbone d'une colonie tuée. Une colonie représentant une valeur, une quantité d'énergie, la remplacer n'est pas du tout neutre, du point de vue de l'environnement, cela a aussi un coût.

Pire car plus fréquent. Quant la colonie survit aux frelons, l'apiculteur se voit contraint le plus souvent de la gaver de nourrissement artificiel pour qu'elle ait une chance de survivre à l'hiver. Cela représente aussi une quantité d'énergie déployée et un certain bilan carbone négatif. Au même titre, il serait intéressant de faire le bilan carbone d'une intervention d'une équipe de pompiers, sans même parler des substances chimiques utilisées.

 
En quête de cohérence

Tout cela pour dire qu'il est urgent de passer d'une écologie de surface à une réflexion de fond ou du moins à un peu de cohérence.

Peut on décemment interdire d'utiliser pour sauver 25 colonies d'abeilles une dose de préparation chimique qu'on autorise pour le confort d'un toutou et de ses maîtres? Où sont la logique et l'intégrité? Sans parler que pas mal d'autres pollinisateurs ont tout intérêt à voir diminuer le nombre de frelons asiatiques. Mais vous me direz qu'il y a plus d'électeurs possédant un chien ou un chat en proie aux puces et aux tiques que d'apiculteurs. Alors... les tiques des toutous et des minous sont donc une affaire plus importante. Quel responsable public a envie de voir déferler dans ses bureaux des millions de Français piqués et agacés.

Bien évidemment, il ne suffit pas de critiquer et nous ne nous contentons pas de rouspéter. Deux des plus jeunes membres de notre association, François Espinet et Jérémie Laurent, élèves ingénieurs de l'Ecole Polytechnique, continuent leur travail autour d'un dispositif novateur qu'ils ont breveté. Actuellement, ils finalisent un prototype d'outil de destruction des nids à base de physique et non de chimie. Ouvrant ainsi la voie à d'autres moyens de défenses des abeilles, plus propres, plus en adéquations avec nos urgences environnementales. Une voie d'avenir. Mais qui n'est pas pour autant une baguette magique.

En effet, il est évident que la biologie du frelon, ses diverses stratégies de nidification  ne permettront pas d'utiliser toujours systématiquement ce type de dispositif novateur et propre. Car reste le problème majeur de l'invisibilité des nids, notamment en zone rurale où globalement, les frelons prospèrent incognito. Là encore, la diversité du vivant qui s'exprime à travers cette diversité de nidification des frelons, devrait nous faire toucher du doigt l'inadéquation des dogmatismes et des attitudes trop unilatérales en matière de défense de l'environnement et de biologie.

Le risque réel étant peut être que l'absence de souplesse d'esprit et de capacité d'adaptation rapide fasse de nous des organismes fragiles, vis-à-vis d'invertébrés aux stratégies plus performantes, tels que le sont les frelons asiatiques.

L'équipe de rédaction.